Faut-il en rire ou s'en offusquer ? La ville de Reims propose aux étudiants qui s'installent dans ses murs de visiter les caves "d'une prestigieuse maison de champagne", le Domaine Vranken-Pommery. Avant l'ivresse du savoir, l'ivresse des sens... A l'issue de la visite, le 30 septembre, "une dégustation de champagne" sera proposée. Outre la découverte du nectar local, une soirée culturelle est également prévue, le 2 octobre, qui doit déboucher sur un apéritif. Et la soirée de clôture, le 9, aura lieu dans une discothèque. "Une boisson non alcoolisée" y sera offerte, précise la mairie.
"Etudiants... tout Reims vous dit welcome !", proclame le site qui présente la "Welcome week". L'intention est louable : accueillir chaleureusement les nouveaux étudiants de l'université de Reims Champagne-Ardenne, de Reims Management School ou de Sciences po en leur faisant découvrir, du 26 septembre au 9 octobre, "les principales richesses de la ville, les nombreuses activités culturelles, sportives ou de loisirs à pratiquer tout au long de l’année, des rendez-vous festifs à partager avec des étudiants du monde entier…"
"C'est tellement banal !"
Au menu, outre la visite de cave, le programme prévoit de nombreuses activités comme "une nuit de la danse fitness et du sprint", un ciné-club, une soirée "rock'n LOL" (d'humour et de rock), un tournoi sportif ou encore la visite de la cathédrale.
Alors que le problème de la consommation d'alcool par les jeunes s'impose régulièrement dans les colonnes ""faits divers", "santé" et "société" des journaux, est-il judicieux de proposer une petite rasade à des néo-étudiants tout juste sortis du lycée ?
Le président de l'université n'y voit pas malice. "Il faut comprendre que le champagne, ici, n'est pas seulement une boisson alcoolisée, souligne Gilles Baillat. C'est un environnement très important. Nous mêmes souhaitons créer un institut de la vigne et du vin avec des partenaires. Et les visites de cave, c'est tellement banal ici que ça ne me choque pas." Même mansuétude chez le docteur Alain Rigaud, psychiatre addictologue à Reims, président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie. "Visiter une cave et déguster une flute à la sortie, c'est de l'œnotourisme et cela ne me choque pas, dit-il. La flute, c'est 7 cl et le producteur ne vous ressert pas ! Quant à l'apéritif après la soirée culturelle, s'il est mesuré et encadré par des instances officielles, cela ne me choque pas non plus."
Le risque du lobbying
De fait, confirme Julie Lavoinne, responsable du projet à la mairie de Reims, "notre but n'est pas du tout d'encourager la consommation d'alcool chez les jeunes. D'ailleurs, personne ne sera obligé d'en boire". La jeune femme rappelle en outre le travail conduit par la mairie pour prévenir les problèmes d'alcoolisation excessive en citant la "charte de la vie nocturne" adoptée en 2011, le travail avec les professionnels de la prévention ou la mise en place de navettes pour assurer le retour des étudiants à leur domicile.
En réalité, ce qui préoccupe davantage le docteur Rigaud, c'est le lobbying exercé par les professionnels viticoles pour imposer le vin à l'université, qu'il s'agisse d'organiser des dégustations sur le campus ou de proposer du vin au restaurant universitaire. En 2010, déjà, un rapport remis à la ministre de l'enseignement supérieur de l'époque, Valérie Pécresse, regrettait la disparition des boissons alcoolisées dans les restaurants CROUS. Le MET, syndicat étudiant de droite, avait même lancé en 2011 une pétition pour obtenir le retour du ballon de rouge sur les campus. En vain.
Champagne ou vinaigre ?
L'argument est toujours le même : "Ils nous disent que le vin n'est pas de l'alcool, mais un produit de luxe", soupire Alain Rigaud. L'idée : éduquer à l'usage modéré du bon vin pour lutter contre le binge drinking, la biture express. "L'inquiétude pourrait être que ces festivités soient le cheval de Troie de la viticulture pour gagner cette bataille et imposer la culture du vin à l'université, poursuit le docteur Rigaud. Ceci étant dit, ici, c'est le champagne. Et on ne s'alcoolise pas au champagne... Sauf dans certains bars huppés des Champs-Elysées..."
Lobbying des professionnels ? "Non, pas ici, assure Dominique Bunel, conseiller municipal de Reims, délégué à la vie étudiante et à la vie nocturne. Nous souhaitons les amener vers des produits de qualité et les détourner de cette vodka bon marché qu'ils mélangent à du jus d'orange. C'est une invitation à participer au club œnologique de l'université. Vous savez, là où il y a le plus d'alcoolisme ce n'est pas dans les régions viticoles, mais dans le Nord et en Bretagne... Et puis on n'attire pas les mouches avec du vinaigre..."
Benoît Floc'h